Le sort de la réserve héréditaire française se situe au coeur des deux décisions rendues par la première chambre civile de la Cour de cassation le 27 septembre 2017 (n° 16-17.198 et n°16-13.151).
La Haute juridiction s’est trouvée confrontée à un arbitrage délicat entre la protection d’un mécanisme de droit interne, essentiel en droit des successions, la réserve héréditaire, et le respect de la loi étrangère.
La protection de la réserve héréditaire en droit français justifie-t-elle qu’une loi étrangère, désignée par la règle de conflit, et qui ignore une telle réserve, soit déclarée contraire à l’ordre public international français ?
La Cour de cassation a refusé de faire primer, par principe, la réserve héréditaire sur la loi étrangère tout en affirmant une possibilité d’écarter une telle loi qui serait incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels.
La réserve héréditaire écartée par principe
Critiquée ou défendue, la réserve héréditaire constitue assurément une entrave à la liberté du testateur. En droit interne, son caractère d’ordre public a été récemment rappelé par le ministère de la justice qui a précisé que « cette réserve assure la protection de la cohésion du groupe familial en réalisant une égalité entre les enfants quel que soit le mode d’établissement de leur filiation et en imposant au de cujus un devoir d’assistance économique envers ses proches » (voir Rép. min. n° 13060 : JO Sénat, 7 janv. 2016, p. 56, Maurey H).
Dans la droite ligne de cette réponse, dans les deux affaires soumises à la Cour de cassation, les héritiers considéraient la réserve héréditaire comme un élément constitutif de l’ordre public international. Les arguments étaient toutefois différents d’un pourvoi à l’autre. Dans l’un des pourvois, la réserve héréditaire est envisagée comme un mécanisme qui « garantit la cohésion familiale et le principe d’égalité entre les héritiers ». Dans l’autre, elle est présentée comme un instrument « qui a pour vocation de protéger la pérennité économique et sociale de la famille, l’égalité des enfants et les volontés et libertés individuelles des héritiers ».
Mais ces analyses n’emportent pas la conviction de la Cour de cassation qui considère « qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français ».
Ainsi, pour la première chambre civile, la protection de la réserve héréditaire ne justifie pas à elle seule de déclarer contraire à l’ordre public international français une loi étrangère qui la méconnaitrait. En refusant de consacrer la réserve héréditaire comme un élément constitutif de l’ordre public international, la Cour de cassation nuance nécessairement la portée de ce mécanisme prévu par l’article 912 du Code civil
La réserve héréditaire exceptionnellement protégée
Tout en affirmant un principe de conformité de la loi étrangère méconnaissant la réserve héréditaire à l’ordre public international français, la Cour de cassation envisage néanmoins un tempérament. En effet, elle considère que la loi étrangère « ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ».
La loi étrangère qui conduirait à priver d’héritage un héritier dans une situation économique précaire ou encore à consacrer une discrimination pourrait être écartée. La fonction alimentaire de la réserve héréditaire se révèle ainsi tout particulièrement dans ce tempérament.